Cheval célèbre : Serko, marathonien des steppes
12/30/2024 10:00 AM
Sous le règne du tsar Alexandre III, Serko réalisait il y a 135 ans, un exploit équestre extraordinaire, celui de parcourir 8 838 kilomètres en 154 jours de marche. Vous avez sans doute fait connaissance avec Serko cette année dans Cheval magazine, puisqu'il inaugurait notre nouvelle rubrique dédiée aux chevaux célèbres !
Ce cheval de petite taille, tous les récits s'accordent sur le fait qu'il toisait 1,37 m, semble être l'incarnation parfaite de l'illustre inconnu. En effet, si son nom a traversé les époques, et son exploit également, pour le reste, on dispose de fort peu d'informations. Que sait-on de Serko ? Qu'il est un représentant d'une race autochtone vivant dans une contrée longeant le fleuve Amour, aux confins de l'immense Sibérie tsariste et de l'empire de Chine où règne la dynastie Qing.
D'ailleurs, la race, qui ignore les frontières, se nomme côté russe, amourskaïa, que l'on peut traduire par cheval de l'amour, et poney de Mandchourie dans l'empire du Milieu. Celle-ci a connu une courte existence car elle va disparaître au début du siècle dernier suite à des croisements anarchiques. Comme ses congénères amourskaïa, Serko n'est pas un beau cheval à proprement parler. Les descriptions du temps le dépeignent en ces termes : « Un chanfrein fortement convexe, des ganaches lourdes, une encolure épaisse et courte, (...) petit cheval d'allure grossière. » Cependant, il a pour lui deux atouts que requiert son berceau de race pour affronter les conditions extrêmes : une rusticité absolue et une grande endurance.
Serko, un hongre acheté 150 roubles
En 1889, Serko va entrer dans l'histoire en devenant le valeureux destrier de Dimitri Nikolaïevitch Pechkov, chef d'un escadron de cosaques. Il a 30 ans et est dépeint comme un « homme à la foi profonde et à l'âme rêveuse ». Ce dernier décide de rallier Saint-Pétersbourg afin de s'adresser à Alexandre III. La raison ? Prévenir le tsar du sort des chevaux amourskaïa tués en grand nombre au fin fond de l'immensité sibérienne. Le tout pour nourrir les ouvriers de la ligne de chemin de fer.
Est-ce là le véritable motif ? Il s'agirait plutôt d'un pari ou de la volonté d'établir un record, voire les deux. À savoir faire mieux qu'un certain Michka Asseev. Quelques mois plus tôt, avec deux juments, il a relié Lubny, près de Kiev, à Paris. Couvrant quelque 2 633 km en 33 jours. Toujours est-il que Pechkov et Serko vont, eux, couvrir 8 838 kilomètres. Réalisant ainsi le raid équestre le plus extraordinaire de tous les temps. Tous deux quittent Blagovechtchensk le 7 novembre 1889.
Après avoir traversé l'empire de part en part à travers la taïga, les steppes et les fleuves de l'Ienisseï, l'Ob, l'Oural et la Volga, à raison d'une soixantaine de kilomètres quotidiens, ils atteignent le palais de Saint-Pétersbourg le 19 mai 1890. La chevauchée aura duré 193 jours, dont 154 de marche. Le cavalier, malade, ayant dû rester alité plusieurs semaines. Ce dernier a tenu un journal où tout est consigné : la météo, l'état des chemins, les rencontres, etc.
Un livre et un film
Serko est offert par son cavalier au tzarévitch, le futur Nicolas II. Il lui assurera une retraite paisible et confortable dans ses écuries. L'histoire de Serko et de son maître est peu connue des Russes eux-mêmes. En 1988, l'écrivain-éditeur, et chroniqueur attitré du magazine, Jean-Louis Gouraud, a redécouvert à Tsarskoïe Selo, non loin de Saint-Pétersbourg, la nécropole des chevaux impériaux. Parmi les 122 tombes, se trouvent des fragments de la pierre tombale de Serko. Il est mort à 37 ans, le 29 avril 1914, soit vingt-quatre années après son exploit. La destinée de ce petit hongre gris va inspirer à Jean-Louis Gouraud son premier roman, Serko, dans lequel fiction et réalité se mêlent. Le cinéaste Joël Fargues s'inspirera librement de cet ouvrage pour son film éponyme sorti en mars 2006.