Antoine Dupont sera-t-il entendu ?
01/19/2025 03:32 AM
Les calendriers surchargés sont un problème majeur. Mais les solutions pour y remédier sont compliquées à trouver… Antoine Dupont alerte sur le calendrier.
Quand Antoine Dupont prend la parole, il est écouté. Surtout quand il évoque la problématique des calendriers surchargés. Le sien a été aménagé la saison dernière entre ses matchs avec Toulouse, la Coupe d'Europe, France 7. Cependant, la star du rugby français a globalisé le problème sur Sud Radio : « Des matchs, il y en a trop. Tout le monde le sait. Pour autant rien ne change. Je ne suis pas sûr que ce soit près de changer ». Mais comment changer ?
« C'est presque insoluble, estime l'ancien international Kélian Galletier (6 sélections). Le Top 14 est justement ce qu'il est car il y a beaucoup de matchs. Cela permet que notre championnat soit économiquement viable. Le nombre de matchs a forcément un impact. Le revers est qu'il y a une intensité sans cesse croissante. »
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« Les télés payent, elles veulent de la compétition »
« Sauf que, économiquement, plus les matchs sont en nombre plus c'est intéressant. Mais attention à ne pas dépasser les limites. Regardons ce qui se passe au football avec un grand nombre de compétitions rajoutées liées aux intérêts économiques. Il ya un juste milieu à trouver. De l'avis d'énormément de joueurs, il y a trop de matchs. C'est vraiment trop. D'un autre côté, les télés paient. Elles veulent de la compétition. Les clubs vous rémunérant, disent : « On a besoin de billetterie pour faire tourner l'économie ».
« Chaque partie défend ses intérêts. Ceux qui en paieront les pots cassés seront les joueurs ! Certes, on les protège de plus en plus, mais on est de plus en plus exposés. Les carrières vont se réduire. Il y a de plus en plus de joueurs dans les effectifs. On ne peut pas jouer tous les matchs. Fatalement, les masses salariales des clubs augmentent. »
Pour Thomas Lombard, ce n’est pas nouveau
Et le futur 3ème ligne de la Nouvelle-Orléans d'amorcer une solution : « Des championnats plus réduits comme le championnat américain. Cela pourrait permettre aux joueurs d'avoir des coupures. A force de rajouter des compétitions, certaines se dévaloriseront. Quant aux meilleurs joueurs, en disputant les meilleures compétitions, ils ne pourront pas être partout… ». Pour le directeur général du Stade Français Thomas Lombard, cette surcharge des calendriers est tout sauf nouvelle :
« Cela fait 30 ans que le calendrier est surchargé ! Ce problème a toujours été un serpent de mer. Quand je jouais en équipe de France, on en parlait déjà. Ce n'était certes pas des matchs avec la même intensité, on avait un temps de jeu effectif moins important, mais on jouait encore plus qu'ils ne jouent aujourd'hui. »
« Car en plus de la Coupe d'Europe et des matchs internationaux, il y avait aussi des matchs de Coupe de France ou de Challenge Yves du Manoir. Le gros problème vient qu'on a un diffuseur qui paie très cher. Il permet au rugby professionnel de constituer en partie ses budgets. Cela amène une visibilité au sport, donc des sponsors. »
Ce même diffuseur doit avoir un produit, un feuilleton tout au long de la saison. On ne peut donc pas réduire indéfiniment le nombre de matchs. Dans le même temps, on a une équipe nationale ayant également besoin de jouer de plus en plus. Elle aussi a besoin de maximiser ses revenus. On se retrouve avec des fenêtres internationales de plus en plus importantes. »
Le rugby ne peut pas jouer tous les 3 jours
« Il y a dix ans, on jouait deux matchs en novembre, puis il y en a eu trois, puis des tournées… Il y a constamment davantage de rencontres. Sans oublier la Coupe d'Europe. Comme le rugby est un sport qui ne permet pas de jouer plusieurs fois dans la semaine, il y a naturellement encombrement ».
Et comme si cela ne suffisait pas, World Rugby a annoncé la création de la Coupe des Nations, réunissant le Top 10 mondial, plus deux nations invitées, à partir de l'automne 2026 ! « Cela ne va pas s'arranger, prévient Lombard. C'était une folie de voter pour la création de cette compétition ». Moyennant quoi la solution idéale demeure très compliquée à trouver :
« La solution consisterait à dire aux entraîneurs de faire moins jouer les joueurs. Mais les faire moins jouer, ce n'est pas forcément les faire se reposer. Car le joueur, même s'il ne joue pas, il vient s'entraîner pendant la semaine. Il ne coupe pas. Ce n'est pas forcément le fait de jouer qui est le plus pénalisant. C'est surtout le fait de ne pas avoir des périodes de repos importantes. A un moment, on est pris entre le marteau et l'enclume. »
Un problème pour les clubs
« On a aussi des revenus de joueurs en constante augmentation. Si, d'un côté, on dit on va maintenir le niveau des rentrées financières, mais qu'on a des matchs en moins, donc des recettes en moins, donc de billetterie, que vous dîtes à un diffuseur finalement sur le nombre de matchs qu'on vous a vendus, on va en enlever 15%, ils ne vont certainement pas payer la même chose ! Il faut aussi comprendre les clubs. »
« Ils versent des salaires sur une année. Si un joueur n'est pas là pendant cinq mois, il est quand même rémunéré. Après, bien sûr que la santé des joueurs reste un sujet crucial, mais on navigue à vue. Alors on essaie de trouver des arrangements avec les internationaux. Même eux ne sont pas logés à lamême enseigne. »
« Les joueurs disputant le Rugby Championship par exemple, il y a absence d'accord avec les fédérations. Les gars jouent 12 mois sur 12 quasiment. La solution serait de jouer moins de matchs. Mais est-on prêt à en assumer les impacts ? Et qui doit les assumer ? Les clubs ? Les joueurs ? Les fédérations ? ».
Romain Bordas, bien connu au LOU, est clinicien en neurosciences. Il nous livre son point de vue sous le prisme médical.
« La solution serait de jouer moins de matchs. Mais est-on prêt à en assumer les impacts ? Et qui doit les assumer ? »
« Je remarque un impact cognitif dans la charge représentée par tous ces calendriers qui demandent beaucoup. Cette charge cognitive est à mettre en parallèle avec la charge physique. Plus les joueurs sont sollicités sur des phases de jeu, des entraînements, des préparations, de gros matchs, plus ils consomment au niveau physique et cérébral.
« Cela peut arriver que je puisse voir des gens un peu moins performants. Ils sont un peu éreintés. On perd en lucidité dans le traitement des informations pour réussir à trouver des solutions sur un terrain. Au rugby, cela m'est déjà arrivé de communiquer avec un médecin à propos d'un joueur dont le cerveau était en surcharge.
« Pourtant, physiquement, il tenait la route. Dans ce cas, cela devient important de démobiliser un joueur pendant un match ou deux pour qu'il récupère. Globalement il y a toujours un lien avec le physique. Moins les gars deviennent lucides car il y a une surcharge cognitive, plus ils sont sujets à de mauvais appuis sur un terrain. Cela va favoriser la possibilité de se blesser ». Et par ricochet si cela arrive aux meilleurs, c'est toute une économie qui s'écroule…
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